Door Bergmans | Georges Eekhoud

Il est jeune, vingt-cinq ans à peine, encore ne les paraît-il pas. À la fois nerveux et sanguin, la stature d'un mortel fait pour exercer le commandement, dépassant de plus d'une tôle les hommes les plus grands de l'assemblée ; les cheveux d'un blond de lin légèrement ondulés, plantés drus et droits au-dessus d'un large front, les yeux à la fois très doux et très pénétrants, enfoncés sous l'arcade sourcilière, les prunelles de ce bleu presque violet qui s'avive ou pâlit à l'action des pensées comme une nappe d'eau sous le jeu des nuages ; le nez busqué, insensiblement aquilin, la bouche fine, vaguement railleuse, ombragée d'une moustache, de jeune reître, au menton la barbiche des portraits de Frans Hals ; la voix vibrante et chaude, au timbre insinuant, aux flexions magnétiques qui remuent l'âme des masses et établissent dès les premières paroles le courant sympathique dans les foules, une de ces voix fatales qui subjuguent et suggestionnent, tellement musicales que la signification des paroles émises ne rentre qu'en seconde ligne de compte.

Georges Eekhoud, La Nouvelle Carthage, p. 76 | Bibliothèque électronique du Québec

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