Parjure | Philippe Aubert de Gaspé

Que les hommes d’autrefois étaient bonasses ! Ils prenaient tout au sérieux, même le parjure ! Pas plus de pitié pour un pauvre diable qui se parjurait volontairement que s’il eût été un de ces hommes de paille que l’on met dans les jardins pour épouvanter les corbeaux ! Nous avons heureusement changé tout cela dans notre siècle de progrès ! Un témoin commet maintenant un parjure qui ruine une famille, qui fait condamner un innocent ; on lui inflige une amende d’une dizaine de piastres, et le juge débonnaire lui dit : « Allez, mon ami, et ne péchez plus ! » Quel vaste champ à exploiter pour ces grands hommes secs dont parle Racine, et que les plaideurs envoyaient chercher afin de les faire jurer pour eux au besoin ! Un parjure d’habitude ne pouvait être qu’un homme sec autrefois, la nourriture ne lui profitait guère, car il avait sans cesse le carcan en perspective devant les yeux, mais on verra aujourd’hui les plaideurs se rendre en cour suivis de braves témoins à gage, au ventre dodu comme des épicuriens ! Embrassons-nous, mes chers amis, et chantons un « ça ira ! » à faire écrouler la ville de Québec !

Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, p. 30 | Bibliothèque numérique du Québec

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