Crimes et châtiments | Philippe Aubert de Gaspé

J’ai dit que le pilori était en permanence alors à Québec. Il eût été très coûteux d’en faire construire un nouveau pour chaque patient qui devait y être cloué. Il n’était jamais longtemps veuf de sa dernière victime. Il se passait peu de mois pendant mon enfance, pendant ma jeunesse même, que la ville de Québec n’offrit le dégradant spectacle soit d’un malheureux pendu pour grand larcin, soit d’un autre voleur attaché à un poteau aussi en permanence sur la même place. Le coupable recevait trente-neuf coups de fouet pour petit larcin ; une autre fois, c’était un criminel incorrigible attaché par les mains derrière une charrette, et promené dans les principales rues de la cité, recevant à certaines encoignures des rues une portion des dits trente-neuf coups de fouet, jusqu’à ce que la sentence fut accomplie ; ou bien enfin c’était un criminel qu’on exposait sur le pilori, pour parjure ou autre crime odieux. Le carcan ou planche transversale qui couronnait le poteau patibulaire, était situé à environ trois à quatre pieds au-dessus de la plate-forme, qui, elle-même, était élevée à environ huit pieds de terre. Le patient avait la tête et les mains assujetties dans ce carcan, ce qui lui laissait peu de chances d’éviter les œufs pourris, ou les autres projectiles que la canaille lui lançait.

Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, p. 30 | Bibliothèque numérique du Québec

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