La tempête | Philippe Aubert de Gaspé

La tempête éclata bien vite dans toute sa fureur avec accompagnement de voix lugubres, que je n’avais jamais ouïes même pendant les plus terribles ouragans, et à ma tristesse succéda tout à coup une exaltation nerveuse qui me faisait entendre le vagissement de l’enfant nouveau-né, la plainte du malade sur un lit de souffrances, les lamentations de la veuve à l’aspect du corps sanglant d’un époux chéri, les cris perçants du criminel que l’on torture et les gémissements du captif dont on rive les chaînes. J’écoutais avec un profond sentiment de compassion ces cris lamentables, lorsque des voix plus puissantes, celles des bêtes féroces, couvrirent les voix humaines ; c’était le rugissement des tigres et des lions, le mugissement du taureau en fureur et les hurlements sinistres des loups. Et mon chien, qui s’était réfugié entre mes jambes, levait la tête de temps à autre en poussant des cris plaintifs ; le système nerveux de mon fidèle compagnon, plus sensible en apparence que le mien, était ébranlé par ce bruit infernal.

Philippe Aubert de Gaspé, Mémoires, p. 243 | Bibliothèque électronique du Québec

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